L'album du globe-trottefer RER + TGV = FILIA
Pourquoi ne pas ouvrir les lignes TGV en Île-de-France
à des dessertes régionales à grande vitesse ?

RER + TGV = FILIA Un projet resté lettre morte...
La jonction des TGV à l'Est de Paris, une ligne également francilienne ?
RER + TGV = FILIA, pour FrancIlienne de Liaisons Accélérées
Roissy–Corbeil–Melun
La relation « FILIA Ouest » Rouen–Mantes–SQY–Roissy
Correspondances ferroviaires
Quel type de matériel ?
Extensions possibles
Autre dossier : Une énergie EOLiEnne ?

Dans le remarquable ouvrage de Jean-François Bazin consacré au TGV Atlantique (Éditions Ouest-France, 1988), il y est fait état, dans un chapitre relatif aux extensions du TGV (dont beaucoup sont devenues réalités depuis), d'un projet de « rocade ferroviaire à grande vitesse utilisant les voies d'interconnexion du TGV autour de Paris avec des navettes circulant à 200 km/h : de Saint-Quentin-en-Yvelines à Roissy » (p. 138, reprise du Moniteur, avril 1988).

Un projet resté lettre morte...

En voilà une bonne idée ! Mais l'Ami durail a beau chercher, il ne voit nulle trace de ce projet qui provient pourtant d'un « journal sérieux » (et non de quelque courrier des lecteurs !) dans le schéma directeur des transports franciliens pour les années 2000-2015 : alors que les besoins se font cruellement sentir en matière de relations inter-banlieues, la SNCF et le Syndicat des Transports Parisiens continuent à raisonner comme au bon vieux temps des années 70 et du Réseau Express Régional, avec la majeure partie des investissements engloutis dans des réalisations de radiales (RER D, Eole) ou pire dans une réalisation exclusivement parisienne et incompatible avec le RER (Météor), comme au début du siècle avec la naissance du métro !

Les projets de LUTECE (Liaisons à Utilisation Tangentielle En Couronne Extérieure : St-Quentin–Sénart, Cergy–Massy ou Pontoise–Roissy) manquent pour l'instant singulièrement de substance et impliquent des investissements de remise à niveau (Grande Ceinture) voire des lignes nouvelles (entre Évry et Sénart, par exemple). Les banlieusards peuvent attendre et se consoler en se disant qu'ils peuvent faire « comme dans le train », c'est-à-dire bouquiner... dans les embouteillages !

La jonction des TGV à l'Est de Paris, une ligne également francilienne ?

Pourtant, cette idée du Moniteur reprise par J.-F. Bazin est hautement intéressante : l'interconnexion (ou jonction, selon la terminologie actuelle) des TGV est une infrastructure remarquable qui a coûté aux alentours de 4 milliards de francs et qui permet, depuis 1994-1996, de conjurer le « mal français de la centralisation » en proposant des TGV Lille–Marseille, Lille–Bordeaux ou Nantes–Lyon sans qu'il soit nécessaire de changer de train – et de gare – à Paris. De surcroît, ces dessertes n'ignorent pas la banlieue en observant des arrêts à Roissy, Marne la Vallée-Chessy et Massy.

Malheureusement, quoi que l'on en dise, cette infrastructure ne concerne que peu les Franciliens : les TGV interrégionaux s'adressent logiquement aux provinciaux plus qu'aux Franciliens, lesquels disposent d'un formidable pôle d'attraction matérialisé par Paris; quant aux relations intérieures à la région, on peut toujours essayer de prendre le TGV entre, par exemple, Massy et Roissy : l'Ami Durail l'a fait, il lui en a coûté 104 francs pour un aller simple (car évidemment, pas question de présenter sa malheureuse carte orange de prolétarien pour prétendre emprunter un train de prestige que le monde entier nous envie !) – entre Roissy et Marne-Chessy, c'est pire encore : 71 francs pour un trajet de 10 minutes, pourtant hautement compétitif lorsque l'on sait qu'il faut plus d'une heure en RER, et moyennant un changement à Châtelet !

Ce sont les ravages du tout-TGV, quoi... Les hiérarques de la Société nationale auront beau expliquer qu'une-ligne-de-TGV-n'a-pas-vocation-à-assurer-des-dessertes-régionales, le projet du Moniteur démontre qu'une telle idée n'est pas saugrenue...

Une magnifique ligne de 4 milliards empruntées par seulement une quinzaine de TGV par jour et par sens (tout simplement parce que le potentiel de trafic interrégional est loin d'atteindre le potentiel des relations Paris–province – on n'efface pas mille ans d'histoire...), il faut avouer que cela est un peu frustrant, lorsque l'on sait que la région qui l'accueille n'en profite que peu. Laquelle région peut s'enorgueillir d'un vaste potentiel de trafic, pour peu qu'il soit bien orienté.

Pour consolider la justification d'une telle ligne, et des gares TGV de Roissy, Chessy et Massy, des navettes régionales franciliennes tracées à 200-220 km/h, représentent une solution élégante, utile et innovante. Il s'agirait même, n'ayons pas peur des mots, d'une rupture épistémologique (un changement de perspective, quoi !), à savoir la fin du tout-TGV et l'apparition de solutions hybrides combinant les avantages du TGV (confort, vitesse) et du RER (souplesse, fréquence). Mais après tout, les Alsaciens et les habitants du Val de Loire connaissent depuis quelques années déjà ces relations régionales à grande vitesse (sur lignes classiques), avec le TER 200 Strasbourg–Mulhouse et l'InterLoire Nantes–Orléans.

Il serait paradoxal et incohérent que le réseau à grande vitesse ne profite pas de ces relations régionales... à grande vitesse, là où le réseau classique, l'habituel oublié des aménageurs, peut présenter des réalisations fort judicieuses. Et en ce qui concerne l'Île-de-France, des relations inter-banlieues qui bénéficieraient en priorité de relations innovantes se payant le luxe d'emprunter les lignes TGV, il faut avouer que cela ne manquerait pas de sel, dans une région qui a toujours été structurée en fonction de Paris.

Car c'est bien ce type de relations qui est concerné : la mise en service de navettes transversales à grandes vitesse, rien que par son côté « nouveauté » serait un magnifique coup de projecteur sur les déplacements inter-banlieues, là où les besoins sont les plus marqués et où l'offre manque le plus. Des relations qui, en tant qu'héritières du TGV et adaptées aux besoins régionaux, se signaleraient de surcroît par leur confort, grâce à un matériel dédié ; le confort, une notion qui pour l'heure ne cause guère de soucis aux ingénieurs et décideurs des transports franciliens (même pour les trains à deux niveaux les plus récents ! Demandez aux milliers d'usagers quotidiens du RER D ce qu'ils en pensent...).

RER + TGV = FILIA, pour FrancIlienne de Liaisons Accélérées

Ce type de relations qui empruntent à la fois au TGV et aux trains de banlieue, que l'Ami Durail appelle « FILIA », pour Francilienne de Liaisons Accélérées, présenterait la particularité de ne s'arrêter, sur le réseau classique de banlieue, que dans les gares les plus importantes, la desserte fine étant relayée par les RER et trains de banlieue. Cette disposition se justifie par le fait que les trains FILIA seraient les seuls qui, en Île-de-France, pourraient présenter des temps de parcours vraiment intéressants, et par le fait qu'il s'agirait de trajets à grande distance, à propos desquels on va voir qu'ils dépassent la seule région Île-de-France. Sur lignes nouvelles, leur vitesse pourrait être de 220 km/h.
Leur fréquence de passage, cadencée, serait assez élevée : 30 minutes en pointe, 1 heure le reste du temps (moins que les RER et trains de banlieue, où le trafic est plus dense, mais beaucoup plus que les TGV Jonction). Et surtout, tous les billets Île-de-France, cartes oranges et autres, seraient admis – pas question de répéter l'erreur d'OrlyVal, où seuls des billets spéciaux et hors de prix sont acceptés.
FILIA serait un train à vocation clairement régionale, et totalement inséré dans le tissu actuel des transports ferroviaires, comme n'importe quel RER et train de banlieue : à ce titre, bien évidemment, la réservation des places (ce « dogme TGV ») n'aurait pas d'objet ici. Un vrai train de service public, en somme.

Alors qu'il faut encore attendre quelques années pour qu'EOLE et Météor voient le jour, aucun aménagement d'envergure n'est à réaliser en vue des relations FILIA. Les lignes existent déjà, elles sont empruntées tous les jours par des trains de voyageurs, et seuls des aménagements mineurs seraient nécessaires.

Deux relations FILIA pourraient être proposées : de Roissy à Melun via Évry–Corbeil, et de Rouen à Roissy via Mantes et St-Quentin, cette dernière étant directement inspirée du projet du Moniteur cité par Bazin, mais reprenant à son compte la vague idée de relations « transversales Bassin Parisien ».

De la douceur des confins de l'Île-de-France au bruit et à la fureur de Roissy, en passant par les tours sans âme des villes nouvelles...

La liaison « FILIA Est » Roissy–Melun via Corbeil constituerait une « tangentielle Est » qui manque jusqu'ici aux projets LUTECE : la SNCF estimait d'ailleurs sans rire, il y a quelques années, que pour ce faire, une ligne de banlieue Roissy–Sénart via Torcy ou Noisy-le-Grand serait à établir de toutes pièces, malgré deux infrastructures parallèles existantes ou à mettre en service sous peu, la jonction TGV, mais aussi la GC Le Bourget–Valenton / Villeneuve !

Les trains FILIA Roissy–Corbeil–Melun s'arrêteraient dans les gares suivantes : Marne-la-Vallée-Chessy, Villeneuve-St-Georges, Juvisy (importants noeuds de correspondances de la banlieue Sud), Évry-Courcouronnes et Corbeil-Essonnes.

Les lignes empruntées seraient les suivantes :

Voici des temps de parcours estimés depuis CDG 2 :

Le département de Seine-et-Marne serait particulièrement intéressé, avec de telles relations fréquentes, rapides et confortables entre ses deux principaux pôles d'activités, Marne-la-Vallée et Melun. On parle depuis plusieurs décennies de « rééquilibrage à l'Est », et FILIA permettrait à la prestigieuse jonction des TGV de contribuer à cette nécessité d'aménagement du territoire régional, chose qu'elle ne fait guère à l'heure actuelle !

La relation « FILIA Ouest » Rouen–Mantes–SQY–Roissy s'inscrirait dans une logique non seulement francilienne, bien sûr, mais aussi « Bassin parisien », puisqu'elle permettrait à la ville la plus importante dudit bassin, Rouen, à 140 km de Paris, de bénéficier de relations directes avec nombre de pôles franciliens : SQY / Versailles, Massy, Orly, Marne, Roissy. Quant à la fréquence de la branche Rouen, elle serait évidemment moindre qu'entre Mantes ou SQY et Roissy, mais on pourrait tabler sur un passage toutes les deux heures en période creuse, et toutes les heures en période pleine.

FILIA Ouest s'arrêterait dans les gares intermédiaires suivantes : Oissel, Val-de-Reuil, Vernon, Mantes, Épône, Plaisir-Grignon, St-Quentin-en-Yvelines (moyennant un rebroussement), Versailles-Chantiers, Massy-Palaiseau (RER C), Rungis-la-Fraternelle ou Pont de Rungis (pour l'aéroport d'Orly), et Marne-la-Vallée-Chessy.

Les lignes empruntées seraient les suivantes :

Entre Orly et Marne-Chessy, FILIA Ouest croiserait deux lignes majeures de la banlieue sud : le RER C (branches Étampes / Dourdan) et le RER D. Pour assurer une correspondance, deux solutions seraient possibles :

Entre autres avantages, FILIA Ouest présenterait celui d'assurer une liaison quasi directe entre Orly et Roissy sans avoir à subir la cohue du RER traversant Paris (ce qui, lorsque l'on est encombré de bagages, n'est pas idiot !) ni les embouteillages de l'A 86 : pour la desserte d'Orly, FILIA s'arrêterait soit à Pont de Rungis (liaison par navette bus avec les aérogares) soit à Rungis-la Fraternelle (correspondance avec OrlyVal, mais moyennant la construction d'une station desservie par le métro automatique – là aussi cette réalisation est vaguement prévue).
De surcroît, FILIA représenterait la solution pour les passagers aériens désirant se rendre derechef au Château de Versailles, ou... au parc Disney (Marne-Chessy).
Entre St-Quentin-en-Yvelines et Roissy, FILIA mettrait, selon les estimations de l'Ami Durail, aux alentours de 1h10, sans changement et dans des conditions de confort défiant toute concurrence : intéressant lorsque l'on sait qu'avec le RER (ligne C + ligne B avec changement à St-Michel), on met 1h20 au mieux, avec un changement et des conditions de confort toutes relatives.

Voici d'ailleurs le détail des temps de parcours estimés depuis St-Quentin-en-Yvelines :

Voici les correspondances ferroviaires que pourrait offrir FILIA au gré de ses pérégrinations :

Carte FILIA

Fond de carte : IGN 912, « La France en train », 1997

En clair, FILIA constituerait une vaste rocade, une véritable Francilienne ferroviaire – et rapide ! – reliant les pôles les plus importants de l'Île de France : les deux aéroports d'Orly et Roissy-CDG, trois des cinq villes nouvelles (Évry, Marne la Vallée, St-Quentin) et les deux sites érigés en « pôles majeurs » avec l'arrivée des TGV interrégionaux : Roissy et Massy... mais également des villes plus « traditionnelles » : Versailles, Mantes-la-Jolie, Melun, Corbeil... ainsi que des noeuds de correspondance : Villeneuve-St-Georges, Juvisy, Corbeil, Melun, Massy, Versailles-Chantiers, Mantes. Enfin, last but not least, une métropole de 400 000 habitants, capitale régionale : Rouen.

Quel type de matériel ?

Pour ce type de service, un matériel spécifique doit être mis en œuvre : contrairement au TER 200 alsacien et à l'InterLoire qui, en tant que relations « classiques », peuvent se contenter de voitures Corail modernisées, FILIA, en tant que desserte TGV, nécessiterait un matériel adapté à la ligne nouvelle, sachant que les TGV actuels n'ont pas du tout été pensés pour des dessertes régionales.

Un investissement considérable que celui d'un nouveau train...

À la fois TGV et RER, FILIA réclamerait un matériel à deux niveaux, dont le confort serait celui du premier cité, mais l'accessibilité celle du second, avec des larges portes à deux panneaux... Ce type de voiture existe : les V2N, circulant sur des relations de grande banlieue type Paris–Sens, Rouen ou Compiègne – malheureusement, ce type de matériel n'est pas du tout adapté à la grande vitesse, même modérée, à laquelle filerait FILIA. D'autant plus qu'un matériel moteur spécifique pour la circulation sur LGV doit être mis en oeuvre.

La solution préconisée par l'Ami Durail est la suivante : créer de toutes pièces un matériel à mi-chemin du V2N et du TGV Duplex, ce qui nécessite donc de gros investissements, mais amortis par le fait que ce matériel pourrait également circuler sur le TER 200 Alsace et l'InterLoire (ces deux relations mobilisent actuellement voitures Corail et locos SYBIC et 22200)... et des relations de type FILIA dans le Nord–Pas-de-Calais (voir ci-après).

Ce matériel « mini-TGV », qui pourrait s'appeler « TRA », pour Train Régional Accéléré, se composerait des éléments suivants :

ce qui fait cinq caisses en tout, dont quatre ouvertes aux voyageurs : la longueur d'une telle rame, environ 110 m, rappellerait celle des rames du RER ; deux rames FILIA couplées (~220 m) pourraient donc parfaitement desservir les gares de banlieue, dont la longueur des quais est de 225 m.

Extensions possibles

L'Ami Durail prenant ses désirs pour des réalités, a peine a-t-il commencé le résumé de l'esquisse d'une ébauche de relations régionales franciliennes à grande vitesse, qu'il réfléchit déjà à des extensions de cette idée, d'une part dans l'esprit « Bassin Parisien », d'autre part dans le cadre d'une transposition vers une région où ce type de desserte serait particulièrement judicieux : le Nord–Pas-de-Calais.

FILIA pourrait s'étendre vers d'autres coins du Bassin Parisien. En effet, le caractère rapide de FILIA la rend bien adaptée à des trajets de relativement longue distance. On sait aussi que la nécessité des relations inter-banlieues ne concerne pas que l'intérieur de la région, et que les pôles voisins de l'Île-de-France ne regardent plus seulement vers Paris, mais aussi vers les banlieues...

FILIA Est pourrait se scinder en deux branches méridionales à partir de Juvisy :
la branche Melun prolongée vers Fontainebleau, Montereau et Sens;
et une nouvelle branche vers Orléans, avec arrêts intermédiaires à Brétigny, Étampes et Les Aubrais (et marche à 200 km/h à travers la Beauce).

De surcroît, les deux relations FILIA pourraient être prolongées vers le nord : Creil, Amiens, Compiègne, St-Quentin-Picardie, mais moyennant un raccordement nouveau entre l'extrémité nord de la LGV Jonction (raccordement de Vémars) et la ligne classique Paris–Creil, au niveau de Louvres ou Survilliers.

Ainsi pourrait-on avoir deux liaisons « hyperrégionales » à grande vitesse modérée, Amiens–Sens / Orléans d'une part, Rouen–SQ Picardie d'autre part.

Enfin, le Nord–Pas-de-Calais est l'autre région qui se prêterait à merveille à des dessertes régionales à grande vitesse : les centres urbains y sont nombreux et rapprochés, et la LGV Nord Paris–Londres / Bruxelles la traverse de part en part, avec comme point d'orgue la gare de Lille-Europe, gare TGV, desservie directement par LGV, située en centre-ville. Ainsi, contrairement à FILIA, qui contourne le centre francilien en créant une rocade rapide entre pôles périphériques, les « LNA », Liaisons Nordiques Accélérées, seraient-elles un « hyper-RER » rapide et reliant des coins opposés de la région, via le centre, c'est-à-dire Lille-Europe. On pourrait imaginer deux relations LNA :


Il va sans dire que ce dispositif, qui allie naturellement LGV et réseau classique, serait complémentaire et non concurrent (c'est-à-dire, remplaçant à terme !) du réseau TER – et, tout comme FILIA, les LNA seraient considérées comme dessertes régionales et non TGV, avec les facilités que cela suppose : fréquence, souplesse de tarification, correspondance avec les dessertes fines...

Carte FILIA + LNA
L N A
FILIA Est
FILIA Ouest

Fond de carte : « Atlas 2000 », Nathan, 1996, planche 14